Annie Pootoogook et ses oeuvres.
Contexte historique
Pendant près de deux mille ans, les populations tuniites et dite Dorset puis inuites habitent la région. En 1631, le capitaine Luke Foxe nomme le lieu en référence à Edward Sackville, le quatrième comte de Dorset qui finance l’expédition d’exploration du territoire. En 1913, la Compagnie de la Baie d'Hudson y établit un poste de traite, ce qui a pour effet de transformer la chasse traditionnelle en commerciale jusqu’à l’effondrement du marché de la traite des fourrures dans les années 30. Ceci cause une grande famine dans les camps inuits, dont la survie reposait sur les revenus de la chasse et qui n’a désormais plus aucune valeur.
Dans les années 1950, le gouvernement canadien oblige plusieurs habitantes et habitants traditionnelles et traditionnels de Kinngait à s'installer de façon permanente dans les communautés où les services gouvernementaux sont centralisés. La population inuite est ainsi forcée de délaisser son mode de vie traditionnel. L’abandon de la vie sur le territoire mène à l'abattage de qimmiits, ou chiens de traîneaux, par les autorités. Le gouvernement lance ensuite un programme de développement du marché de l’art et l’artisanat inuits. À cette fin, l’artiste James Houston est nommé premier « officier itinérant de l'artisanat ». Au même moment, les comptoirs de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson se réorientent vers le commerce d’art et d’artisanat inuit et le gouvernement investit dans des activités pour la promotion et la vente de créations inuites.
À l'époque, James Houston voyage déjà dans le Grand Nord depuis quelques années en plus de tenir une pratique artistique personnelle. À Kinngait, il développe un programme d’arts et de métiers et pose les premiers jalons de la coopérative. Elle sera fondée en 1959 avec l’implication active de la communauté à tous les chapitres et dans toutes les prises de décisions. La coopérative porte d’abord le nom de West Baffin Sports Fishing Co-operative avant d'être renommée West Baffin Eskimo Co-operative pour finalement devenir la Coopérative Kinngait, qui signifie « hautes montagnes » en inuktitut.
En 2019, à la suite de la Commission de vérité du Qikiqtani entre 2007 et 2010, le gouvernement du Canada présente ses excuses officielles « pour les politiques fédérales traumatisantes adoptées dans la région du Qikiqtani » de 1950 à 1975.
Aujourd’hui, 93 % de la population est inuite et 92 % parle l'inuktitut. Environ 14 % détient un diplôme d'études secondaires et la moyenne d'âge est d'environ 27 ans.
Annie Pootoogook
Annie Pootoogook est née le 11 mai 1969 à Kinngait, au Nunavut. Elle est la fille de la dessinatrice Napachie Pootoogook et du graveur et sculpteur Egeevudluk Pootoogook ainsi que la petite-fille de l’artiste Pitseolak Ashoona, une graphiste innue reconnue pour son art engagé.
Comme beaucoup de personnes habitant le territoire, Annie Pootoogook quitte sa communauté pour mener ses études secondaires dans un grand centre urbain. C’est durant cette période qu’elle développe une dépendance aux drogues et entame une série de relations affectives dysfonctionnelles. Annie retourne vivre dans sa communauté en 1990 : c’est l'époque où, encouragée par sa grand-mère et sa mère, elle essaie le dessin et commence à visiter le studio de la Coopérative Kinngait.
Annie Pootoogook débute véritablement sa carrière d’artiste en 1997. Elle réalise alors des dessins thématisant la vie contemporaine dans la communauté inuite. La direction du studio de la Coopérative lui recommande d’aborder des sujets plus traditionnels représentant par exemple de la mythologie inuite ou de scènes naturelles, mais l’artiste continue à travailler des œuvres plus engagées décrivant les influences du sud dans le nord ou les problèmes contemporains présents dans sa communauté.
Une grande partie des œuvres d’Annie Pootoogook représentent des scènes intérieures quotidiennes où on mange, écoute la télévision, joue aux cartes ou se prépare à une soirée. Les intérieurs de maisons dessinés par l’artiste représentent fidèlement les habitations de Kinngait. On y retrouve souvent les mêmes éléments de décor comme l'horloge, les affiches ou la tasse à café, tous étant achetés au seul même grand magasin de la communauté.
L’artiste exprime dans ses dessins les difficultés économiques, sociales et physiques de la vie contemporaine dans le Grand Nord canadien, notamment celles qui sont liées à la violence, la consommation, l’absence de filet social, l’anxiété, l’absence de support psychologique et l’influence de la télévision.
Son style est épuré, direct et simple. Les sujets y sont représentés de face ou de profil dans un effet de perspective à plat. Ses compositions se démarquent également par leurs grands espaces remplis de blanc ou de couleurs douces réalisées au crayon de couleur. Il s'en dégage une proposition visuelle marquée d'une tension entre ce qui rappelle les dessins enfants et l’intensité des sujets abordés. La grande accessibilité technique et visuelle des dessins de Pootoogook absorbe le regard pour y faire exploser la densité des thématiques abordées, allant des traditions inuites encore vivantes aux souvenirs tristes en passant par les scènes d'une vie quotidienne marquée par la solitude ou l’angoisse.
L’année 2006 marque un tournant dans la vie d’Annie Pootoogook comme dans l’art inuit. Tout d’abord, l’artiste inaugure sa première grande exposition en solo à la galerie d’art contemporain The Power Plant, à Toronto. La même année, Annie Pootoogook devient la première artiste inuite à recevoir le prix Sobey.
Elle décide de demeurer à Montréal, puis à Ottawa, pour y poursuivre sa carrière artistique. Ses œuvres sont exposées au Musée des beaux-arts de Montréal ainsi que dans plusieurs événements un peu partout sur la planète : à l'Art Basel, au Documenta en Allemagne, au George Gustav Heye Centre de New York ainsi qu’à la Biennale de Sydney, pour ne nommer que ceux-là. Ses œuvres sont également acquises par plusieurs institutions canadiennes dont la Galerie d'Art de l'Ontario et la Galerie Nationale du Canada.
La décision de l’artiste de résider loin de sa communauté l'isole de sa famille et des artistes de la Coopérative Kinngait. Elle se retrouve sans support lors de ses crises d’anxiété et dans sa lutte contre ses dépendances.
Annie Pootoogook décède dans des circonstances inconnues. Son corps est retrouvé dans la Rivière Rideau, à Ottawa, le 19 septembre 2016. Elle fait partie de la trop longue liste de plus de 300 cas de femmes autochtones disparues ou assassinées qui demeurent irrésolus.
À ce jour, une grande partie des mille œuvres sur papier répertoriées au nom d'Annie Pootoogook sont conservées à la galerie Feheley Fine Arts de Toronto. Ceci dit, son leg n'a toujours pas été rassemblé pour être conservé et considéré comme une partie importante de notre matrimoine au sein des institutions officielles.
Crédit :
1. Annie Pootoogook and her work, date inconnue, The Global and Mail
2. Composition (Mother and Child) (Composition (Maman et enfant), 2006, crayons et encre sur papier, 38.1 x 50.8 cm, Annie Pootoogook.
3. Family taking supplies home (Famille emportant des fournitures à la maison), 2006, crayons et encre sur papier, 47 x 66.4 cm, Annie Pootoogook.
4. Eating Seal at Home (Manger du phoque à la maison), 2001, crayons et encre sur papier, 51 x 66.5 cm, Annie Pootoogook.
5. Sobey Award 2006 (Prix Sobey 2006), 2006, crayons et encre sur papier, 50.1 x 66 cm, Annie Pootoogook.
6. Gossip (Potins), 2006, crayons et encre sur papier, 51 x 66 cm, Annie Pootoogook.
Sources :
Campbell, Nancy. Annie Pootoogook: cutting ice = Ini Putugu: tukistittisimavuq takusinnggittunik. Fredericton, NB: Goose Lane Editions with McMichael Canadian Art Collection, 2017. (anglais)
Écoutez l'épisode de notre balado Matrimoine Oui! consacré à l'art engagé intitulé Annie Pootoogook x Annie Roy cofondatrice de l'ATSA disponible sur le site de CISM-FM.
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